Dès ses débuts, Eugène Burnand est fasciné par le rendu réaliste du monde et a un attrait tout particulier pour les scènes de genre animalières. Lors d’une visite au jardin d’acclimatation à Paris, il s’exclame : « Oh ! les animaux, voilà ma spécialité. Savez-vous pourquoi je les aime ? C’est qu’ils ont eux, point de fard, point de pose ; tout est nature[1]. » Cependant, la peinture animalière étant considérée comme un genre mineur par l’Académie, l’artiste suisse doit faire face au jugement de son maître, Jean-Léon Gérôme (1824-1904). Le peintre explique dans une lettre adressée à son père : « Gérôme ne veut pas que je débute par des animaux. Quand un animalier veut exposer de la figure, dit-il, le public prévenu la trouvera toujours mauvaise puisqu’elle vient d’un peintre d’animaux. Mais enfin, pourquoi se restreindre ? Il faut pouvoir aborder tous les sujets[2] ». Il quitte alors Paris en octobre 1873 pour la Provence, où la nature et les troupeaux abondent et  fournissent de nombreux sujets pour ses tableaux animaliers.

C’est en 1873 que Burnand réalise Les Ânes dans le Midi, sa véritable première œuvre.  L’idée de cette scène lui vient lors d’une visite à Chêne en Savoie alors qu’il est en compagnie du peintre suisse Evert Van Muyden (1853-1922). Les deux amis croisent un troupeau d’ânes sur leur route et le dessinent. C’est à son retour à Paris qu’Eugène Burnand montre son esquisse à Gérôme qui la déconsidère. Mais Burnand tient bon et se rend chez son frère Ernest Burnand (1845-1890), à Sorgues, en Provence, où il passe une partie de l’hiver et débute son tableau. Il le termine à Paris, dans l’atelier de son beau-père, Paul Girardet (1821-1893). D’ailleurs, l’ânon de devant, vif et curieux face aux ânes grisonnants qui penchent la tête vers le sol, est parisien, « habitant le boulevard Voltaire[3] ». Finalement, Gérôme semble changer d’avis devant l’œuvre terminée. « Très bien, très bien » finit-il par dire à son élève qui ne manque pas d’y voir de l’« espérance pour l’avenir[4] ».

Présentés à l’exposition fédérale de Lausanne puis à Genève, Les Ânes dans le Midi rencontrent un franc succès. En effet, l’artiste suisse reçoit plusieurs offres avant de vendre le tableau à un avocat d’Yverdon. Cet engouement affirme les convictions du peintre qui se spécialise, dès lors, dans les scènes de genre rurale.

 

[1] BURNAND, René, Jeunesse de peintres : Eugène Burnand et ses amis, Lausanne : Ed. spec, 1949, p. 82.

[2] KAENEL, Philippe, Eugène Burnand : la peinture d’après nature, Yens sur Morges : Ed. Cabédita, 2006, p. 28.

[3] Liber Veritatis p. 2.

[4] BURNAND, René, Jeunesse de peintres : Eugène Burnand et ses amis, Lausanne : Ed. spec, 1949, p. 99.