Œuvre marquante et novatrice, La Maternité est l’une des rares productions de l’artiste vaudois qui met en valeur la beauté féminine. Le choix du modèle est donc primordial. Selon lui, « cette beauté doit être morale, spirituelle et pure avant tout […] ». C’est la femme du peintre, Julia, qui aperçoit le visage de La Maternité dans un grand magasin parisien proche de l’Hôtel de ville. Burnand explique sa première rencontre avec la future modèle, Mme Hivert, dans son Liber Veritatis :

 […] je me laisse conduire par Julia au 4ème étage d’une vieille maison de bonne apparence […]. Et là, debout, la maîtresse du logis, dans sa mise toute simple, nous reçoit avec une grâce délicieuse.  D’emblée, je comprends tout le parti que je pourrai tirer de ce beau front aux lignes intelligentes, aux plans délicats, de ce nez, grec à sa base, de cette bouche incroyablement fine, de ces yeux profondément enchâssés – le rendez-vous est pris pour le lendemain à mon atelier de la rue d’Assas. […] Ce fut le début d’une collaboration qui dura plus de 4 mois et demi et comporta environ 85 séances de pose[1].

Au fil des séances, une forte amitié naît entre le peintre et son modèle. M. Hivert écrit dans une lettre destinée à l’artiste :  « […] elle  [Mme. Hivert] a pleuré en descendant l’escalier de l’atelier le jour où elle a posé pour la dernière fois pour [La] Maternité. Vous nous manquez terriblement[2] ». La Maternité est sereine, lumineuse et rappelle dans le positionnement des figures les Vierges à l’enfant de certains maîtres comme Fra Angelico que le peintre vaudois admire tant. L’aspect à la fois réaliste et symbolique de la toile de Burnand témoigne du respect religieux qu’il porte à la figure de la femme sur terre, dans son rôle d’épouse et de mère. « Je voudrais qu’elle fût ma Joconde », insiste-t-il. Dès lors, faisant partie des modèles de prédilection du peintre, Mme. Hivert inspire plusieurs autres œuvres à l’artiste comme La Drachme perdue[3].

La Maternité ne reçoit pas l’attention attendue. Alors qu’elle est exposée au Grand Palais en 1912, le peintre s’indigne : « […] ce qui est certain, c’est que le tableau n’attire pas. – quelques esprits, que je campe parmi les « délicats » ont paru goûter l’œuvre, en ont loué l’intimité, le calme – mais le public ne s’y intéresse pas[4] ». Il en va de même lorsqu’elle est présentée à la Grenette à Lausanne : « le tableau ne paraît pas éveiller l’attention[5] ». L’œuvre est même refusée à Bâle en 1913, à l’occasion d’une exposition particulière des œuvres de Burnand. Malgré cette réception mitigée, La Maternité, ainsi que la plupart des œuvres religieuses de Burnand, participe d’une tentative de rénovation de l’art religieux – d’un point de vue protestant.

 

 

 

 

[1] Liber Veritatis p. 169.

[2] BURNAND, René, Eugène Burnand : l’homme, l’artiste et son œuvre, Paris : Berger-Levrault, 1926, p. 99.

[3] Œuvre actuellement exposée à l’Espace Graffenried à Aigle dans le cadre de l’exposition Eugène Burnand : à travers champs.

[4] Liber Veritatis p. 169.

[5] Idem.